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Vivre...

Vivre la vie , être comme on est et comme on peut, les hauts les bas . Vie quotidienne ,cuisine , photos ,citations et mes expériences .

Lettres du Japon


 

La moitié de la ville était sortie faire une promenade. Tous les vêtements étaient indigo, tout comme les ombres, et la plupart des lanternes de papier luisaient comme des gouttes de sang. A la lueur des lampes à huile fumantes, des gens vendaient des fleurs et des arbustes – de méchants pis touchés de nanisme, des pêchers, et des pruniers rabougris, des pieds de glycine rachitiques, qui se contorsionnaient d’un air grotesque et ne ressemblaient plus à rien, tous perchés dans de gros pots vernissés d’où ils jetaient un regard torve sur le monde environnant. Dans la lumière dansante des flammes jaunâtres, ces pauvres estropiés et les visages jaunes qui les entouraient se joignaient à un ballet fantastique, puis les flammes d’immobilisaient et ils faisaient à nouveau semblant d’être des plantes, jusqu’à ce qu’une tiède bouffée d’air nocturne passant sur le feu renvoie toute la rue à sa danse insensée, et leurs ombres faisaient des cabrioles sur les façades.

*

Si vous cherchez des bizarreries de couleur, des devantures de boutiques flamboyantes et des lanternes éblouissantes, vous ne trouverez rien de tout cela dans les rues étroites et pavées de Nagasaki. Mais si vous désirez des détails de construction de maison, des aperçus de propreté parfaite, un goût rare, la parfaite adaptation de la chose ouvrée aux besoins de l’ouvrier, vous trouverez tout ce que vous cherchez et plus. Tous les toits, couverts de lattes ou de tuiles, sont couleur de plomb et toutes les devantures de maison, de la couleur du bois telle que Dieu l’a faite. Il n’existe ni fumée ni vapeur, et sous la franche lumière d’un ciel nuageux mes yeux pouvaient plonger jusqu’en bas de la très étroite ruelle comme dans l’intérieur d’un cabinet.

Depuis longtemps les livres vous ont raconté comment est construite une maison japonaise, surtout en paravents à coulisses et en cloisons de papier, et tout le monde connaît l’histoire de ce cambrioleur de Tokyo, lequel cambriola avec une paire de ciseaux pour levier et pince-monseigneur, et vola les culottes du consul. Mais tout ce que l’on saurait imprimer ne vous fera jamais comprendre le délicieux fini d’une habitation dans laquelle entrerait un coup de pied, et que vous pourriez de vos points réduire à l’état d’allumettes. Voici la boutique d’un bunnia. Il vend du riz, du poivre rouge, du poisson séché et des cuillers de bois faites de bambou. La devanture de sa boutique est très solide. Elle est toute en voliges d’un demi-pouce clouées côte à côte. Pas une de ces voliges n’est brisée; et chacune d’elles est parfaitement carrée.

Rudyard Kipling dans Lettres du Japon

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